Danser en tous sens – Mon parcours jusqu’ici

J’ai grandi dans un foyer francophone à Montréal et j’ai habité le Québec jusqu’à mes vingt ans. Malgré toutes mes années de voyage et mon domicile à Toronto, mon véritable chez-moi reste Montréal. Passons maintenant au reste de mon histoire.

Le mouvement a fait partie de ma vie en grandissant. Ma mère dansait bien naturellement et me montrait des combinaisons fondamentales de danse – des pas de cha cha cha, de salsa ou de jive – aux fêtes de famille. Quand elle se sentait bien elle dansait et m’entraînait avec elle. Sa capacité performative naturelle m’a été transmise très tôt. J’ai récemment découvert de courts films de famille où on me voit toujours danser pour la caméra, pour amuser mes parents, mon frère, mes oncles et tantes, courir (mal, comme encore aujourd’hui) ou jouer au football avec mes cousins et cousines.

Nous avons été élevés avec soin, mon frère et moi mais ce n’était pas toujours la grosse vie. Mon père tenait beaucoup à l’éducation pour ses enfants : j’ai fréquenté les pensionnats et suivi un curriculum strict d’études classiques. Nous n’étions pas trop exposés aux arts mais mon père a quand même investi dans des cours de ballet privés quand j’avais sept ans. Je ne me rappelle pas avoir souhaité en suivre mais il a sans doute pensé que ce serait une bonne activité pour moi.

Mes premiers cours de ballet se déroulaient une fois semaine dans un studio au sous-sol chez Roland Duval, dans la rue derrière chez nous. Parfois l’enseignant me montrait des mouvements de ballet à la barre mais la plupart du temps je dessinais des ballerines au tableau noir pendant qu’il passait son temps dans sa cuisine à l’étage. Une fois, mon père est venu me chercher d’avance et a été horrifié de voir que le dessin avait remplacé la danse. Ce n'étaient pas les leçons qu’il avait payées!

Ma formation en ballet a été transférée aux Grand Ballets Canadiens qui tenaient des cours satellites à Ahuntsic (dans le nord de Montréal) dans un studio au-dessus d’un mail linéaire. À ma grande surprise, ces nouveaux cours ne comportaient pas de dessin. Pire encore, j’ai appris que cette « nouvelle » version des cours de ballets nous faisaient tous et toutes danser la même chose. À la surprise de mon père, j’ai abandonné.

 
 
 
 
 

Le pensionnat était très strict et nous n’avions pas la permission de parler en classe, ni au dortoir, ni dans la cafétéria et bien sûr, jamais dans la chapelle. Il va sans dire que dès que c’était permis, je devenais très animée; le silence ne me convenait pas du tout. J’excellais en latin et en anglais. Sauf pour une courte participation dans un chœur de filles – je chantais soprano et alto – l’école manquait d’activités artistiques. Pas de cours de musique, d’arts visuels ni de danse. Pour échapper au fardeau des heures de devoirs chaque soir, je me trouvais des moyens de me divertir. À 10 ans, je dansais avec une raquette de tennis sur Honky Tonk Woman dans la petite salle de récréation du pensionnat, jusqu’à ce que les sœurs me chassent de là!

Exceptionnellement, l’Institut Marie-Clarac a eu une grande incidence sur ma vie. J’y ai vécu la première lueur d’une véritable expérience artistique à l’arrivée du seul être masculin autorisé dans l’école (à part notre prêtre dévoué). Ce jeune acteur avait pour mandat d’apporter une « expérience artistique » aux élèves. Un petit groupe d’entre nous suivait ce cours spécial de 16h30 à 17h30 tous les jeudis. Il nous a bravement dirigé dans des exercices en danse, en théâtre et en arts visuels, pour aboutir à un spectacle présenté dans le gymnase. Les détails m’échappent à présent mais je me souviens de m’être sentie prendre vie. J’adorais ça. J’adorais tout. 

D'autres personnes inspirantes ont commencé à se présenter.  J’avais 15 ans lorsque Eva von Gencsy est arrivée au Canada pour fonder Les Ballets-Jazz de Montréal. Je ne me rappelle plus comment j’ai appris l’existence de leurs cours – ou qui me les a suggéré - mais je suis devenue une régulière. Tous les vendredis à 18 h, je prenais l’autobus Saint-Jacques de Montcalm (Collège Esther-Blondin) pour me rendre au centre-ville de Montréal, et ensuite le métro jusqu’à la station Papineau, pour me diriger vers l’est sur  Ste-Catherine. Je marchais seule et je devais passer sous le pont Jacques-Cartier et par une ruelle pour entrer par la porte arrière du studio. À y repenser, je constate que je courais un grand danger puisque le studio se trouvait dans les plus bas quartiers de Montréal. Le cours commençait à 20h30. À 22h je refaisais le parcours inverse vers le nord et Laval-des-Rapides où j’habitais.

Avec la fin de ma vie de pensionnaire est arrivée une nouvelle orientation.

Image par Frédéric Georges

 
 

À l’âge de 16 ans je suis entrée au Cégep Marie-Victorin pour étudier en éducation à la petite enfance. Je faisais partie de la toute première cohorte de ce programme de trois ans. En plus d’étudier, d’écrire et de travailler dans ce domaine, je continuais de danser. Je m’inscrivais à des cours récréatifs parce que je ne pouvais pas encore imaginer que la danse et les arts seraient mon travail pour la vie.

En deuxième année, j’avais 17 ans et une peur bleue des dissertations finales dans mes cours de psychologie et de philosophie. J’ai alors proposé à mes profs qu’au lieu d’une dissertation, je préparerais une prestation de danse qui explorerait les tensions entre les enfants et les adultes. À ma grande surprise, les profs ont accepté!

Je me suis préparée pendant un an, avec répétitions sur l’heure du dîner, pour enseigner les mouvements que j’avais appris dans mes cours de danse en y mettant le paquet théâtral. J’ai persuadé certains étudiants à coordonner les costumes et le maquillage tandis que je concevais le décor et choisissais la musique. La production, d’une durée de 50 minutes, s’appelait Zoogep (parce que le CÉGEP, c’est un zoo!). J’avais obtenu le numéro de téléphone personnel du réputé compositeur québécois François Dompierre (auteur de l’emblématique chanson québécoise On est six millions faut s’parler). J’avais chorégraphié tout le spectacle sur des plages de son album Dompierre et je l’ai invité à y assister. Il a accepté, il s’est présenté et il a adoré; toute la distribution s’est rendue avec lui au restaurant pour finir la soirée. La première de nombreuses soirées que j’ai passées ainsi au cours de ma vie.

Quand j’y repense aujourd’hui, c’est clair que mon énergie se concentrait avant tout sur la chorégraphie et la direction, avant même que je sache danser. 

On était en 1976 et Montréal accueillait les Jeux olympiques d’été. Le jour, je travaillais comme placière aux compétitions d’haltérophilie. Le gagnant Vassili Alexeiev a célébré sa victoire en me serrant dans ses bras devant la caméra, manquant de m’écraser, moi et mes 95 livres. J’aimerais bien retrouver cette photo-là.

Et la nuit je répétais dans le Stade Olympique, de minuit à 4 h du matin, en vue des cérémonies de clôture où j’ai dansé et aussi dirigé les athlètes vers leurs postes respectifs durant la célébration. Une expérience extraordinaire, époustouflante.

Ma voie s’affirmait plus clairement. J’ai terminé mes études au CÉGEP mais même avec un diplôme et une offre d’emploi en main, et malgré le plaisir que j’avais à travailler avec des enfants, je savais que je ne continuerais pas dans ce domaine.

Mon destin m’est apparu dans un journal. C’était une annonce de Pointépiénu, une école tout récemment ouverte qui offrait des cours en théâtre, en ballet, en moderne, en rythme, en voix, en technique Alexander et en théâtre physique. J’ai été la toute première personne à m’y inscrire!

Sise en plein cœur du Vieux Montréal, Pointépiénu a d’abord été une petite compagnie formée de trois danseurs : Sasha Belinsky, premier danseur aux Grands Ballets Canadiens, Anthony Bouchard, ancien soliste au Ballet du XXe siècle fondé par Maurice Béjart, et Louise Latreille, la directrice artistique de Pointépiénu. Cette dernière avait étudié avec Béjart et quand est venu le moment de choisir le programme d’étude de sa nouvelle école, elle a pris pour modèle l’École Mudra que Béjart avait fondée à Bruxelles, plus tard devenue P.A.R.T.S.


C’est à 19 ans que j’ai commencé ma formation à plein temps en danse. J’avais tout à apprendre, surtout les habiletés techniques, mais j’y mettais beaucoup de détermination, d’énergie scénique et une forte aspiration à faire partie de la compagnie.


J’ai intégré la compagnie Pointépiénu comme membre apprentie et on m’a d’abord confié les rôles plus théâtraux pendant que j’améliorais ma formation. L’école de Pointépiénu m’a dotée d’outils incroyables. J’ai profité d’une excellente formation dans plusieurs disciplines artistiques auprès de professeurs exceptionnels. Nous suivions un cours d’appréciation de la musique contemporaine donné par Micheline Coulombe St-Marcoux, une pionnière en musique électroacoustique et les cours de théâtre physique de Gilles Maheu (fondateur de Carbone 14); nous avons monté un spectacle de l’école avec Michel Lemieux (Lemieux Pilon 4D Art) comme concepteur de l’éclairage de notre petit studio. J’ai une longue liste des artistes et des influences qui m’ont enrichie. En plus des cours de l’école, je suivais des ateliers intensifs de danse aux États-Unis, à la New York University (NYU) et au festival de danse Jacob’s Pillow, ainsi qu’un programme d’été à l’Université York (Toronto).

Image par George Belinsky. Interprètes: Marie-Josée Chartier, Sasha Belinsky dans Initiation

Pendant mes cinq années dans la compagnie, j’ai eu l’occasion de me produire avec régularité. Chaque année pendant six semaines nous avons fait des tournées partout en France et en Belgique, dans de grands théâtres, d’anciennes maisons d’opéra et les Maisons de la Culture nouvellement instituées en France. Louise Latreille et moi dirigions des ateliers et des démonstrations-causeries dans les écoles, les usines, les conservatoires de chaque ville où nous passions.

En 1982, j’ai quitté la compagnie, mon copain, ma famille et Montréal, pour des motifs personnels.

Quand je repense à cette époque, je comprends quelle a été son importance dans l’ensemble de ma carrière, dans tout ce que je fais. Aujourd’hui je suis directrice artistique, je danse, je chorégraphie, j’enseigne, je dirige et je participe à la communauté de danse à plusieurs titres.

Marie-Josée Chartier avec les sculptures de Rae Anderson pour Telum Amoris

En arrivant à Toronto en 1982, je me suis inscrite à un atelier donné par Carolyn Adams de la Paul Taylor Dance Company et organisé par la Danny Grossman Dance Company. J’avais prévu rester un mois à Toronto. Rien ne me poussait à partir et le mois d’atelier s’est transformé en plusieurs décennies de résidence. Toronto m’a bien accueillie et j’ai travaillé comme danseuse pigiste pendant sept ans sous la direction de différents chorégraphes, toujours en évolution pour apprendre de nouveaux volets du métier d’artiste de la scène.

Ma première expérience professionnelle comme chorégraphe est arrivée par hasard. En 1987, sur la recommandation de ma voisine, l’artiste visuelle Rae Anderson m’a demandé de créer une danse pour l’ouverture de sa galerie au BauXi sur la rue Dundas, en face du Musée des beaux-arts de l’Ontario. Cette première collaboration avec une artiste visuelle a affirmé mon amour des arts contemporains et mon désir de réaliser des créations multidisciplinaires.

 

Interprètes: Michael Querin, Alejandro Ronceria, Tom Brouillette, Peter Chin et, pas sur la photo mais faisant partie de R.E.D. the Mens Club, David Wood

Image par Cylla von Tiedemann

Je dois mentionner l’une de mes principales raisons d’être domiciliée à Toronto c’est que c’est l’endroit où j’ai rencontré l’amour de ma vie, le regretté Michael J. Baker, compositeur musicien, chef d’orchestre et directeur artistique d’Arraymusic (1992 - 1999). Il m’en a tellement appris sur les arts contemporains et a composé la musique de ma toute première œuvre chorégraphique intégrale, R.E.D. the Mens Club pour cinq danseurs masculins, présentée à ARC, un espace scénique sur Queen Street West. À compter de ce moment-là j’avais la piqûre de la création.

En 1988 j’ai intégré Dancemakers, la compagnie de danse bien établie de Toronto sous la direction artistique de Bill James (après avoir dansé dans d’exquises œuvres in situ de Bill), et je suis restée dans la compagnie quand sa direction est passée à Serge Bennathan. Ce dernier est un des artistes dont la vie de création a eu une influence importante sur la mienne. Je suis demeurée à Dancemakers pendant près de dix ans.

En 1997, je me suis mise à voler de mes propres ailes pour réaliser mes projets chorégraphiques et directoriaux.

Et l’histoire n’est pas finie…